« C’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes. » Ce proverbe s’applique également à des substances actives anciennes (aspirine, colchicine, etc.) qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène au gré d’études plus ou moins fiables vantant leur intérêt dans des pathologies pour lesquelles elles ne sont historiquement pas indiquées. C’est également le cas de la metformine qui n’en finit pas de nous promettre monts et merveilles dans des domaines aussi différents que les cancers, les maladies neurodégénératives ou celles auto-immunes. Récemment, une longue étude menée sur des macaques a fait la Une des médias : la metformine pourrait ralentir le vieillissement cérébral et protéger les fonctions cognitives !
Devant cette promesse de jeunesse éternelle, il nous a semblé intéressant de faire le point sur cette substance prescrite en France depuis 65 ans et qui reste centrale dans les recommandations françaises de prise en charge du diabète de type 2.
La metformine fait partie des biguanides, des substances à l’histoire mouvementée, entre efficacité et toxicité. Elle est indirectement issue de l’utilisation traditionnelle du galéga (Galega officinalis) dans le traitement du diabète sucré, dès le Moyen-Âge. Les principes actifs de cette plante sont la galégine et la guanidine, qui furent isolées en 1914 [1]. Malgré leur efficacité, la galégine, ainsi que deux substances voisines, les diguanidines, furent rapidement abandonnées du fait de leur toxicité (et du fait des premiers succès de l’insulinothérapie).
Dans les années 1950, l’arsenal antidiabétique s’enrichit des biguanides, dont la metformine (en France), la phenformine (aux États-Unis) et la buformine (en Allemagne). Ces deux dernières, plus efficaces que la metformine, ont été à l’origine de nombreux décès (par acidose lactique et/ou accidents cardiaques) et furent abandonnées dans les années 1970. Cette mauvaise balance bénéfice/risque, rejaillissant sur l’ensemble de la famille des biguanides, a retardé la généralisation de l’usage de la metformine, sauf dans l’Hexagone : commercialisation en 1959 en France mais seulement en 1995 aux États-Unis.
Aujourd’hui, la metformine est centrale dans le traitement du diabète de type 2, même si certains experts remettent cette prépondérance en cause (voir ci-dessous).
Les insondables mécanismes d’action de la metformine
Comme de nombreux médicaments anciens, les mécanismes d’action de la metformine sont longtemps restés mal définis. Un consensus existe néanmoins sur ses effets : si elle n’est pas hypoglycémiante chez le sujet non diabétique, elle réduit l’hyperglycémie chez le sujet diabétique (action dite « antihyperglycémiante » ou « normoglycémiante »). Cette propriété explique qu’elle puisse être associée à d’autres médicaments antidiabétiques sans augmenter le risque de crises d’hypoglycémie. La metformine possède également un effet anorexigène [2,3], apprécié dans la prise en charge du diabète de type 2 chez les personnes en surpoids.
Comment la metformine régule-t-elle l’hyperglycémie ? Plusieurs hypothèses ont été émises dont la plus documentée est une inhibition du complexe I de la chaîne respiratoire (NADH / ubiquinone oxydoréductase), diminuant ainsi la néoglucogenèse au niveau du foie. Cette inhibition est modérée (environ 40 %), ce qui pourrait expliquer la meilleure balance bénéfice/risque de cette biguanide (et sa moindre efficacité que ses cousines) [1].
Une autre piste longtemps évoquée, celle de l’activation de l’AMPK (adénosine monophosphate protéine kinase, le thermostat cellulaire de la production et de l’utilisation de l’énergie), a été abandonnée pour expliquer les effets de la metformine sur l’hyperglycémie. En effet, la metformine reste efficace chez les souris dont le gène AMPK a été inactivé dans le foie. Néanmoins, l’activation de l’AMPK pourrait expliquer les effets protecteurs de la metformine sur le muscle cardiaque lésé (restauration de l’autophagie qui permet aux cellules du myocarde, lors d’ischémie, d’utiliser le glucose issu de la dégradation des déchets cellulaires, voir paragraphe ci-dessous).
Concernant les effets anorexigènes de la metformine, une étude récente [3] a montré que la metformine est un puissant inducteur du métabolite anorexigène N-lactoyl-phénylalanine (Lac-Phe) dans les cellules intestinales, chez la souris et chez l’homme, via l’inhibition du complexe I. L’ablation génétique de la biosynthèse de Lac-Phe chez les souris rend ces animaux résistants aux effets de la metformine sur la prise alimentaire et le poids corporel.